Les nouvelles années de plomb

En 2008, le royaume pratique toujours les enlèvements et la torture. Et le silence de la classe politique est toujours aussi exaspérant.

الحقيقة و الانصاف

Le journal

2/23/2008

En 2008, le royaume pratique toujours les enlèvements et la torture. Et le silence de la classe politique est toujours aussi exaspérant.

Le 19 février, on apprend l’enlèvement de l’imam de la mosquée Mahdia. Le 5 février, Fouad Mourtada est kidnappé en bas de chez lui par deux individus qui l’ont forcé à monter dans une voiture et lui ont bandé les yeux. Par la suite, il subit un interrogatoire musclé : coups, humiliations, insultes, crachats, rien ne lui est épargné. Il est frappé des heures durant sur la tête et les jambes avec un objet destiné à faire mal sans laisser des traces. En tout, Fouad aura disparu 36 heures sans contact avec les siens. Il est accusé d’avoir créer un faux profil du prince Mouley Rachid sur face book, un web.


Silence complice du CCDH


Safi, il y a quelques mois. Rachid Chrii est enlevé en plein jour, au vu et au su de tout le monde. Il connaît ses tortionnaires. Ce sont des fonctionnaires de l’Etat, payés par nos impôts. Des policiers et, parmi eux, des officiers. Ils appartiennent à la PJ de Safi…connue pour la pratique de la torture et par l’impunité de ses tortionnaires. Rachid Chrii a écrit une lettre au ministre de la justice de l’époque, feu Mohamed Bouzoubaâ, pour demander justice. En vain. Une autre victime, Hamid Najib, a également écrit au directeur de la DGSN et au ministre de la justice. Là aussi en vain. Abdelali Hamieddine, avocat et membre du bureau exécutif du « Forum de la dignité pour les droits de l’homme », déclare, le 19 février, au quotidien arabophone « Al Massae » : « Les enlèvements n’ont jamais cessé. Ils se sont multipliés après le 11 septembre. Les cas que nous avons enregistrés sont nombreux et englobent l’ensemble des régions du Maroc ». Ces disparus n’ont aucune relation avec le « terrorisme ». Ce sont de simples citoyens dont on n’a plus de nouvelles… Qui procède à ces enlèvements ? Les RG, la DST, la DGED ? Personne ne le sait. Interrogé à ce sujet, l’actuel ministre de la justice a répondu qu’il n’était au courant de rien. Incroyable mais vrai, or cette « ignorance » du ministre de la justice, certainement partagée par le premier ministre, est révélatrice. Car ce dernier n’à aucune autorité ni sur le ministre de l’intérieur, ni sur les différents services de sécurité. De nouvelles années de plomb ? Non, car elles n’ont jamais cessé. Elles se poursuivent car on a accordé l’immunité aux tortionnaires de l’ère hassanienne, parce que l’IER a refusé de faire son travail et d’aller jusqu’au bout de ses investigations. Parce que le CCH se tait, et son silence devient complicité car il ne dénonce pas ces enlèvements, ni la pratique de la torture qui est revenue en force et qui n’épargne ni les islamistes, ni les incriminés de droit commun, ni ceux poursuivis pour atteinte aux valeurs sacrées dont Ahmed Nasser, 95 ans, retrouvé mort dans sa cellule à la prison de Aïn Moumen. On n’oublie pas non plus le cas du grand militant Bougrine d’un âge très avancé et qui souffre de maladies multiples. Ce militant a connu, pour ses idées, la prison sous le protectorat, puis sous les règnes successifs des trois monarques marocains. Et les partis se taisent comme ils l’ont fait par le passé au sujet du bagne de Tazmamart, d’Agdz, de Kalaat Mgouna, de Dar El Mokri, de Derb Mouley Cherif. Une exception, la courageuse intervention de Mustafa Ramid au parlement, intervention où il a demandé la formation d’une commission d’enquête concernant le centre de Temara. En vain, car aucun parti, sauf le sien bien sûr, ne lui a emboité le pas…

K.J.