MOHAMED BOUGRINE, Militant des droits de l’homme EPISODE 4/5 :
Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed Bougrine reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.
إهانة المقدساتالنشأة
Le soir échos - Le DIVAN
5/1/2008


« Mon emprisonnement prouve la persistance des atteintes aux droits de l’homme»
L’état refuse même l’idée de présenter des excuses, sachant que ces la moindre des choses. Le motif, nous étions des criminels et le makhzen oeuvrait pour la paix et la sécurité du pays.
Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed Bougrine reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.
A coté de votre engagement politique, vous êtes également un fervent militant des droits de l’homme, notamment dans le cadre du Forum vérité et justice. Qu’elle a été la passerelle entre les deux ?
Bien avant le forum, j’étais ce qu’on appelait un Attar (marchand ambulant d’épices, ndlr). J’avais pour mission de faire le tour du Maroc à la recherche des prison secrètes de Hassan II, à un moment où celui-ci affirmait qu’il n’y on avait pas, et d’en informait les ONG nationales et internationales. Parmi mes découvertes, un certain Tazmamart et Jbel el Alem dans la région de sidi ifni. Les ONG alertées et certain auteurs ayant commencé à écrire sur le régime et ses exactions comme Gilles Perrault, ma mission était accomplis ainsi dénoncé et reconnaissant enfin l’existence de bagnes au Maroc, Hassan II décide alors de liquider l’affaire en ordonnant que les victimes soient indemnisées et que le dossier soit clos en l’espace de six mois. Mais c’était sans compter sur un rapport incendiaire des affaires étrangères américaines en 1989. Le roi assouplit alors son emprise sur le pays et crée le conseil consultatif des droits de l’homme en 1990.
Cette création était quand même le début de tout le processus de réconciliation…
Pas quand on sait que dès sa création, ce conseil a commis une erreur monumentale, celle d’adresser une demande de grâce royale en faveur de toutes les victimes des années de plomb. La langue utilisée dans cette lettre, digne du moyen age et son contenu implorant le pardon du roi vis-à-vis de ceux et celles à qui le diable aurait dicté de s’opposer à lui, ont été pour le moins blessants. Au lieu de faire en sorte que le processus de réconciliation aille de l’avant, cette demande n’a fait qu’envenimer les choses. Et c’est pour faire face à une institution perçue à l’époque comme mort-née que nous avons créé le FVJ.
Quel a été l’apport du Forum dans ce processus, sachant qu’il s’est, dès le départ, inscrit en porte-à-faux avec cette initiative ?
Son apport a été d’abord de faire ressortir certaines vérités. Au début, l’état parlait de seulement 112 cas de disparitions forcées alors que nous en avions comptées au moins 700. L’histoire nous a donné raison. Et c’est le forum qui avait mis la pression pour la création de la commission de la vérité. Nous avions demandé que celle-ci soit confiée à des personnes répondant à trois principales conditions : l’intégrité intellectuelle, la compétence et la neutralité positive. Mais qu’avions-nous à attendre d’une commission n’ayant pas la latitude de convoquer des responsables pour témoignage ou interrogation ? Que pouvions-nous espérer d’une instance qui ne se fixait aucun délai pour ses missions, ni de budget propre ?c’est conscients de ses limites que nous n’avons pas participé à ses actions. Plutôt que de mettre en place toutes les garanties pour crédibiliser le processus, on nous propose au final Ahmed Herzenni comme président.
Finalement qu’est-ce qui bloc le processus de réconciliation ?
Il ne fallait pas lui donner cette spécificité marocaine qui l’a miné depuis le début. La réconciliation est un phénomène mondial. Elle fait partie de cet ensemble indivisible qu’est la transitionnelle. Son application devait ainsi obéir à des standards internationaux. La règle onusienne veut que tout mesure positive adoptée par un pays ayant enclenché un tel processus devienne obligatoire pour les pays qui affirment s’inscrire dans la même démarche. D’où l’introduction depuis 1983 de la notion de réparation matérielle et morale, individuelle et collective. D’où aussi le caractère obligatoire, depuis 1986, des excuses publiques de l’état. Si l’un est passé au Maroc, l’autre attend toujours. En Afrique du sud, on a installé l’obligation pour les tortionnaires de présenter publiquement des excuses, de la manière la plus explicite, pour tous les crimes qu’ils ont commis. Ce pays a également institué le droit des victimes de ne pas accepter ces excuses et de poursuivre leurs tortionnaires en justice. Au Maroc, l’état refuse même l’idée de présenter des excuses, sachant que c’est la moindre des choses qu’il puisse faire. Le motif en est qu’à l’époque, nous étions des criminels et que le makhzen oeuvrait pour la paix et la sécurité du pays. Mais la découverte des fosses communes a démontré que l’état a commis des crimes, et u’il existait des victimes. Ses victimes.
Que gagnerait le Maroc de ces excuses publiques ?
La garantie de la non répétition des exactions. Et mon dernier emprisonnement a prouvé que l’arbitraire et les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés sont toujours de mise.
PROPOS RECUEILLIS PAR
TARIK QATTAB