MOHAMED BOUGRINE, Militant des droits de l’homme EPISODE 5/5 :
Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed Bougrine reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.
إهانة المقدساتالنشأة
Le soir échos - Le DIVAN
5/2/2008


« Ma liberté, je l’ai payée et je tiens à la garder»
M’hamed Boucetta et Abderrahim Bouâbid restent à mes yeux ceux qui ont le plus résisté aux tentations, et menaces du palais. Ce sont des personnalités très respectables, restées fidèles à elles-mêmes.
Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed Bougrine reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.
A près de 75 ans, vous auriez eu une vie mouvementée, faite notamment de beaucoup de désillusions. Que regrettez-vous ?
Je ne regrette rien. Vous savez, je considère que depuis 1973, ce que j’ai vécu, et même les épreuves que j’ai dû endurer, est un surplus qui s’est ajouté à ma vie. A cette date, j’ai été emprisonné pour implication dans les événements de Dar Bouâzza et failli être condamné à mort puisqu’on m’a notamment accusé du meurtre d’un commissaire de police. Le fait d’être innocenté, après 7 ans de prison, a été une résurrection pour moi. C’est vous dite que tout ce qui a suivi était un extra. J’ai certes eu des moments difficiles, dû subir bien des tortures, fait le tour de bien de prisons et centres secrets de détention. Mais j’ai eu aussi des moments de bonheur, à l’air libre. En somme, j’ai eu la vie que je voulais et ne me suis privé de rien. A commencer par ma liberté de parole et d’action. J’en ai aussi fait les frais. D’où ma détermination à ne pas battre en retraite. Ma liberté, je l’ai payée. Et je tiens à la garder.
Vous avez passé un total de 16 ans en prison. Comment votre famille a-t-elle réussi à tenir face aux aléas de la vie en votre absence ?
Si j’ai réussi à tenir face à tous les malheurs que j’ai connus, c’est grâce à ma femme. On s’est mariés en 1968. Et depuis, rien ne nous a séparés. Où que j’étais, elle m’amenait mon panier et travaillait dur pour subvenir aux besoins de nos enfants. Mon seul regret est que j’ai maintenant trois garçons, tous diplômés, qui n’ont pas encore trouvé de travail. Et mon seul souci est qu’un de mes enfants a été tellement affecté par tout ce qui m’était arrivé, qu’il s’est renfermé sur lui-même et refuse même d’aller voir un médecin. Mais nous gardons tous la tête haute.
Que représente la liberté d’expression pour vous ?
Elle est mon bien le plus précieux. Et personne ne saura m’interdire d’exprimer tout ce que j’ai envie de dire. Je n’ai pas eu cette vie pour accepter d’être muselé. Et je refuse d’être limité à un statut si réducteur d’un des sujets. Je suis un citoyen de ce pays et un citoyen du monde. J’ai des droits et des responsabilités et seule la loi est ma règle de conduite. Et pour cela, je suis encore prêt à partir de nouveau en prison. Il est inadmissible d’assister à des injustices faisant que des diplômés soient condamnés au chômage et rester muet. Il est inconcevable de se rendre compte à quel point l’écart se creuse entre ces responsables politiques et hommes d’affaires qui s’enrichissent à la vitesse de la lumière, et de la manière la plus insolente qui soit, et ces masses dont une bonne partie n’a même pas encore atteint ce fameux seuil de pauvreté et puis de dire que l’année est bonne. La dignité que nous recherchons ne s’accorde pas. Elle s’arrache. Exprimer son mécontentement face à tous ces décalages est bien un minimum. Ce qui est étonnant, c’est qu’ailleurs, la moindre protestation se solde par la démission de responsables. Ici, c’est la prison pour tous ceux qui osent parler. Ce n’est pas pour autant qu’il faut se taire et subir.
Qu’est-ce qui fait défaut pour que la tendance soit inversée ?
Que les pouvoirs soient séparés, la construction adaptée dans ce sens et la justice réhabilitée. C’est ainsi que les droits de tout un chacun seront préservés. J’en reviens à cette nécessité de désacraliser certains pouvoirs et certaines institutions de ce pays. Je n’ai rien contre Mohammed VI. Et je n’ai nullement l’ambition d’obtenir des faveurs ou autres privilèges. J’aurais moi aussi pu jouer les éclaireurs pour le makhzen, mais c’est aller contre mes principes.
Parlant de principes, quelles sont vos références en la matière ?
M’hamed Boucetta de l’Istiqlal et Abderrahim Bouâbid de l’USFP restent à mes yeux ceux qui ont le plus résisté aux tentations, et menaces, du palais. Quoi qu’on en dise, ce sont des personnalités très respectables et qui sont restés fidèles à elles-mêmes. Abdelkrim El Khatib est également quelqu’un de très courageux, qui prend soin de ses amis. Son malheur, c’est qu’il est plus royaliste que le roi et qu’il a été l’un des acteurs du désastre qu’a connu, et connaît encore, le pays.
PROPOS RECUEILLIS PAR
TARIK QATTAB