MOHAMED BOUGRINE, Militant des droits de l’homme EPISODE 1/5 :
Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed BOUGRINE reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.
إهانة المقدساتالنشأة
Le soir échos - Le DIVAN
4/28/2008


« Dans toute démocratie, la seule souveraineté valable est celle du peuple »
Le sacré est un grand vase dans lequel on peut tout mettre : de la monarchie à la religion en passant par la partie, l’armée. Bref, tous les ingrédients composant le pouvoir au Maroc et auxquels il ne faut surtout pas toucher.
Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed BOUGRINE reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.
A 73 ans, vous avez de nouveau été condamné par la justice à trois ans de prison pour atteinte aux sacralités, avant de bénéficier d’une grâce royale. Avez-vous déjà envisagé d’être emprisonné sous Mohammed VI ?
Tout a commencé quand nous nous sommes solidarisés avec des diplômés chômeurs qui manifestaient, un certain premier mai, contre l’absence de perspectives et pour avoir droit au travail. Dans les pays démocratiques, quand il y a des protestations, la logique veut que le responsable concerné présente sa démission. Chez nous c’est la prison. Et c’est le sort qu’ont connu des personnes ne demandant ni plus ni moins que la dignité et le moyen de subsistance qu’un travail peut leur permettre. Certains y ont vu une atteinte aux sacralités. Or, on est en démocratie, et dans ce cas la liberté d’expression est un droit garanti. Sinon, pourquoi tout ce tapage qui ne mène à rien ? D’autant plus que dénoncer un mauvais système, une politique de destruction, n’est pas un crime. C’est en organisant un sit-in de solidarité que nous avons été arrêtés pour atteinte au sacré. D’ailleurs, c’est propre au régime que de faire taire non seulement les principaux concernés par des faits qui peuvent le déranger, mais aussi tous ceux qui tentent, ne serait-ce qu’un peu, de leur porter secours. C’est sa manière de prendre le « mal » par la racine. J’ai dû donc crever l’abcès en parlant de tout le bien que je pensais des sacralités en plein tribunal. Et c’est ce qui m’a valu mon dernier séjour en prison.
Qu’avez-vous dit exactement au cours de votre procès ?
J’ai tout simplement précisé que la notion de sacralités n’est nullement spécifiée dans les textes de loi, qu’il s’agit d’une coutume devenue au fil des expériences et des années comme un fil élastique. On l’étend et on la rétrécit à sa guise, dépendamment des conjonctures et des personnes. Le sacré est un grand vase dans lequel on peut tout mettre : de la monarchie à la religion en passant par la partie, l’armée. Bref, tous les ingrédients composant le pouvoir au Maroc et auxquels il ne faut surtout pas toucher. Moi, je dis non. S’il s’agit de la foi, Dieu a dit qu’il n’y a pas de contrainte dans la religion. Quand à la partie, nul n’a d’autre choix que de l’aimer. Dans la vie, il y a l’amour que l’on porte à sa mère, et l’autre, celui qu’on nourrit pour son pays. A titre d’exemple, personne ne me convaincra que le Sahara n’est pas marocain. Je tiens par ailleurs à rappeler qu’en 1955 déjà, des délégations et des chefs de tribus sahraouies étaient venus faire allégeance au roi. Et c’est le système qui les a tellement marginalisés et a tant joué avec leurs sentiments qu’il en a fait les ennemis d’hier et d’aujourd’hui. Ce que j’entends affirmer par là, c’est qu’en dehors de ces deux amours, tout est sujet à questionnements et interrogations. Et quand on proteste, c’est contre un système, pas contre son pays. Ce serait absurde.
Selon vous, la monarchie ne devrait donc pas échapper à ces questionnements ?
Au nom de quel droit, et dans un système qui se veut démocratique, celle-ci devrait-elle être au-dessus de la loi, de toute critique et de tout suivi ? Dans toute démocratie, la seule souveraineté valable est celle du peuple. Et qu’on arrête de nous complaire dans ce mélange des genres, comme la confusion constatée entre Imarate Al Mouminine et celle de la démocratie. C’est ce que j’ai tenu à rappeler au cours du procès.
Au risque de vous faire de nouveau con damner, en étiez-vous conscient ?
Il faut dire qu’au départ, en première instance, je n’ai eu que le minimum exigé par la loi dans ce genre de délit. Mes avocats, et contrairement à ce que je voulais, ont fait appel. Et c’est là ou les instructions se sont frayées leur chemin dans les oreilles de ceux qui m’ont jugé pour porter la peine à trois ans. Précisons que c’était la période des élections et qu’on craignait que je ne provoque ce que nos sécuritaires qualifient de troubles. Je suis en effet parmi ceux qui pensent que les élections ne servent à rien tant qu’elles ne participent pas à l’édification d’un état démocratique, pierre après pierre. Or, et depuis plus de 50 ans, elles n’ont servi qu’à consolider une autocratie et à nous faire revenir au point zéro à chaque fois. Toutes ces gesticulations pseudo démocratiques ne sont qu’un grand bluff censé rassurer les occidentaux quand à leurs propres investissements. Or, la véritable bataille est toute sauf une question de forme.
PROPOS RECUEILLIS PAR
TARIK QATTAB