MOHAMED BOUGRINE, Militant des droits de l’homme EPISODE 2/5 :

Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed Bougrine reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.

إهانة المقدساتالنشأة

Le soir échos - Le DIVAN

4/29/2008

« Nous voulions un Maroc indépendant, pas un Maroc de l’Istiqlal »

Libéré en 1966, j’ai repris mes fonctions au sein de l’UNFP jusqu’à sa dissolution en 1973. Hassan II nous avait tout gâché. Nous avons alors décidé de lui gâcher sa fête.

Il aura connu la prison sous le règne de trois rois pour ses idées politiques. Du haut de ses73 ans, Mohamed Bougrine reste lucide, le verbe tranché. Ses convictions et son idéalisme de gauche, n’ont pas changé d’un poil.

Toute votre vie a été marquée par des positions, et des actions, allant contre le régime en place. Qu’est-ce qui vous motive autant ?

Je suis né sous une étoile de l’opposition. Natif de la région de Sekoura, à Zaouyate Aït Sidi Ali, c’est à Aït Sokhmane, dans Aghbala, que j’ai grandi. Cette tribu a pendant des années portées l’étendard de la résistance, après les Ait Seghrouchène, tant vis-à-vis des colons que du makhzen. Et c’est à eux qu’on doit des révolutions comme celle montée contre Moulay Slimane et des batailles comme Sretta en 1888. Imaginez, être imbu dès votre jeune âge d’un tel patrimoine, doublé d’études d’histoire sur la France, avec sa révolution française et le changement par les armes qu’elle a connu. Il faut dire aussi que dès mon enfance, j’étais curieux de se qui se passait autour de moi et j’ai pu assister à bien des événements. Je me souviens d’ailleurs que notre instructeur nous avait demandé à l’époque qui était sultan du Maroc. J’avais naturellement répondu Mohammed Ben Youssef, mais la réponse n’était pas si évidente que cela, dans un Maroc sous l’occupation, mais aussi et surtout dans une région coupée de tout et de tout le monde. Je n’avais vraiment pas d’autre choix que d’être ce que je suis aujourd’hui.

Comment avez-vous traduit vos penchants révolutionnaires dans les faits ? A quand remonte votre premier souvenir de militant ?

J’ai rejoint le mouvement de résistance contre l’occupation française dès 1953, et je n’y suis pas allé avec le dos de la cuillère. Cette année-là, j’ai créé des cellules armées pour lutter contre l’occupant dans ma région. La rencontre avec « La Main noire », organisation clandestine armée dirigée par un certain Mohamed Zerktouni, puis avec l’armée de libération nationale, a eu lieu presque par hasard. Mon action s’en est renforcée. Après l’indépendance, j’ai naturellement rejoint le parti de l’Istiqlal. Il n’y avait pas une famille marocaine qui n’avait pas fait de même. Ce parti était une sorte de grande famille pour tous les marocains. Et toute éventuelle opposition relevait de l’aventure. Mais je n’ai pas tardé à prendre connaissance de tous les excès, et le mot est faible, auquel ce parti se livrait. Je pense à la série de liquidations orchestrée contre des membres de l’armée de libération nationale, à des centres de détention et de torture comme Dar Bricha. Des excès qui ont provoqué l’Intifada du 25 janvier 1959 et dont j’étais un des leaders. Ce que nous voulions, c’était un Maroc indépendant, pas un Maroc de l’Istiqlal. C’est à ce moment-là que le makhzen a pris fait et cause pour Allal El Fassi et les siens, les soutenant contre des acteurs majeurs de l’Indépendance. La conséquence a été la création de l’Union nationale des forces populaires, le 6 septembre de la même année. J’étais parmis les congressistes.

En 1960, vous êtes arrêté pour la première fois pour avoir participé à une rébellion dans votre région. Que s’est-il passé exactement ?

J’avais en fait pris part à l’Intifada du Qaîd El Bachir contre les autorités du makhzen. On a pris le maquis à Jbel Koussra et lutté pendant deux mois, avant d’être battus et faits prisonniers. On m’avait alors impliqué dans l’assassinat d’un commissaire de police. J’étais certes au courant, mais je n’avais rien à voir dans ce meurtre. J’ai passé 7 ans en prison pour être innocenté par la suite, à la faveur du bénéfice du doute.

Six ans après, vous êtes arrêté et à nouveau condamné à trois ans de prison pour votre implication dans les événements de Dar Bouâzza de 1973, Qu’est-ce qui avait mal tourné ?

Libéré en 1966, j’ai repris mes fonctions au sein de l’UNFP jusqu’à sa dissolution en 1973. Hassan II nous avait tout gâché. Nous avons alors décidé de lui gâcher sa fête. C’était le 3 mars de la même année, date ou nous avons mené l’Intifada de Moulay Bouâzza. Notre objectif était de prendre les armes et de faire en sorte que le cours de l’histoire, et du pouvoir au Maroc, change. Notre cible n’était autre que le même Hassan II. Nous avions tout préparé, tout calculé, mais le projet a capoté par manque de coordination et par la précipitation dont certains parmi nous ont fait preuve.


En quoi consistaient vos préparatifs ?

Nous avions 16 camarades parfaitement formés aux techniques de guérilla et qui avaient bénéficié de nombreuses formations en Syrie et en Libye. A eux incombait la responsabilité de former d’autres camarades et de mener l’Intifada. Béni MELLAL, avec 36 personnes dont moi-même, devait leur servir de base arrière. Mais une personne ayant fait ébruiter nos intentions, la prise d’armes a été un échec. Les 16 camarades ont cependant réussi à fuir, grâce à notre aide, mais c’est nous qui avons payé la facture, emprisonnement et tortures en tous genres à la clef.


PROPOS RECUEILLIS PAR

TARIK QATTAB